Liberté de conscience et religion
Liberté et religion font-elles bon ménage?
Il me semble qu’une des principales critiques adressées à la religion est qu’elle va à l’encontre de la liberté de l’homme et surtout à l’encontre de sa liberté de conscience.
On perçoit souvent la religion comme un obstacle au libre arbitre. Croire au divin, croire en un Dieu [croire qu’une autre réalité que celle qui nous parvient à travers nos sens qui serait déterminant dans nos actes (voir déterminant de nos actes)] serait contraire à la liberté, ou en tout cas un obstacle à celle-ci. N’entendons-nous pas dire souvent, dans un certain discours commun, que ceux qui ont la foi sont prisonniers de principes moraux et philosophiques et sont à cause de cela en opposition avec la liberté à laquelle chaque homme aspire?
Ou pour poser encore autrement la question, la religion serait-elle un obstacle à la liberté de conscience? La religion est-elle forcément synonyme de règles, de prescris et d’interdits qui ne peuvent qu’entraver les choix autonomes de l’individu? La liberté de mener sa vie comme on l’entant, La liberté de penser et d’agir, la liberté de conscience, ne peuvent-elles que rejeter toutes formes de religieux? Si l’on est épris de liberté de conscience ne peut-on pas être aussi en quête de divin? Ou l’un et l’autre sont-ils forcément incompatibles?
Évidemment, il serait dérisoire de croire que l’on peut, en quelques minutes traiter d’un sujet aussi complexe.
J’avais juste envie, ici, de donner quelques éléments de réflexion sur le sujet, face a des affirmations, parfois massives et sans nuances, qui définissent ou tout le moins identifient la religion à une privation de choix autonome dans son existence.
Premièrement, il ne faut sûrement pas mettre toutes les religions dans le même panier; ni croire que la manière dont on vit son rapport avec le divin est le même pour tous. En la matière, généraliser n’apporte rien. L’une ou l’autre prise de position d’une Église particulière face à une grande question de société, ne disqualifie pas tout le religieux pour autant.
Par exemple, on n’a pas échappé aux informations qui nous viennent de France et qui montrent certaines Églises fortement opposées aux mariages pour tous. En fait, dans les Églises (dans certaines d’entre elles en tout cas), le débat n’est pas clos. Il y a de la place pour la réflexion personnelle et pour le changement de perspective. Certaines acceptent le mariage pour tous, d’autres pas, mais ce n’est jamais sans nuances.
Je crois, ainsi, qu’il faut plutôt différencier la manière dont on pense et vit sa religion. Elle peut être pour beaucoup une voie de réflexion personnelle et de libération; tout le contraire, en tout cas d’un enfermement dans des règles morales strictes. Elle permet aussi à certains de vivre et de sans cesse remettre en question le précepte qui voudrait qu’ils existent des règles morales valables pour tous les temps et tous les lieux.
Je pense que chaque homme est en recherche de liberté : pouvoir penser, agir, décider, suivant son inspiration, sans se sentir emprisonné dans des carcans est une aspiration humaine bien légitime. Ne cherchons-nous pas tous à choisir les valeurs que l’on veut suivre dans sa vie, les choisir en toute autonomie, sans nous sentir contraints par une autorité supérieure qui ne ferait aucun cas de notre personnalité?
Bien sûr, il y a ce précepte que nous gardons tous pour préserver notre espace de choix : ” la liberté des uns s’arrête ou celle des autres commence”. Nos choix de vie individuelle sont toujours cadrés dans un espace délimité qui permet à l’autre de vivre aussi ses choix et de s’épanouir.
En même temps, si nous pensons que l’homme est fait pour la liberté, ne faut-il pas reconnaître qu’en nous il existe, parfois, une certaine envie, aussi à nous placer sous des règles. Voire même à créer des règles rassurantes, permettant de vivre facilement, sans devoir sans cesse se remettre en question, sans devoir sans cesse repenser à la voie que l’on veut suivre. Le choix de la liberté de conscience n’est-il pas une difficulté quotidienne que l’on n’a pas toujours envie de relevé ou que l’on ne sait pas toujours relever?
Dans ce même ordre d’idée, n’est-il pas plus facile de se soumettre à des règles imposées par un pouvoir quelconque, surtout s’il se revendique d’une haute morale et d’inspiration divine? Sans cesse devoir se faire une opinion personnelle sur toutes les questions de société, ou de vie quotidienne, n’est-ce pas trop difficile et surtout trop risqué? Sommes-nous toujours compétents pour faire les bons choix?
Une certaine manière de vivre sa religion peut être une réponse à cela, à cette crainte de faire des choix personnel, basé sur sa seule conscience. On s’en remet à une autorité, qui se présente comme divine, pour qu’elle prenne position pour soi. La religion agissant comme secours de notre faiblesse en matière de choix personnel. [La religion peut alors agir comme cadre délimitant les choix, cadrant les actes à poser.] Ce faisant, affirme-t-on alors, le fidèle ne vit pas un chemin d’éloignement du divin. On peut vivre sa religion comme une soumission à une autorité souveraine, divine, qui dicte des prescrits et des interdits. Et on lie alors le respect de ses règles à l’espérance d’une vie meilleure. Vie meilleure ici et maintenant, car bénie par la divinité. Vie meilleure essentiellement future : celle d’un royaume divin.
Mais cette description caricaturale d’une certaine manière de vivre sa foi, n’est pas la seule façon de vivre sa relation au divin et rechercher celle-ci auprès d’une Église. L’Église et les rites qu’elle propose peut aussi être un cadre pour vivre sa liberté. Parce qu’elle peut aussi être un lieu (ce n’est pas le seul), où l’humain est pensé dans sa nature, respecter dans son être en quête de liberté. Ainsi dans le protestantisme (mais ce n’est qu’un exemple), nous prenons la Bible comme référence à notre réflexion. Mais si elle est, par certains, considérée comme un livre divin, quasi écrit par la main de Dieu, elle est pour d’autre un livre humain (je dis parfois tellement humain qu’il en devient divin), écrit par des hommes (peut-être des femmes, je l’espère en tout cas) aux prises avec des questions humaines et qui cherchent des réponses. Ils les cherchent dans la vie de tous les jours, en tenant compte de toutes les possibilités et en tenant compte aussi de la dimension religieuse et spirituelle de tout individu.
Ainsi, une des grandes questions qui traverse la Bible est la juste rétribution : comment se fait-il qu’un homme qui agit avec droiture, justice, en recherchant la paix et le bien de ceux qu’il côtoie, vive parfois dans la misère et la maladie… alors qu’un autre qui vit en cherchant à accroître le plus de profit pour lui seul, quitte à opprimer et commettre tout sorte de méfait, celui-là vit dans l’opulence et la bonne santé! Pourquoi n’y a-t-il pas un mécanisme qui fait que l’on vit bien et heureux si on fait le bien et on vit malade et malheureux si on commet le mal? C’est une grande question humaine que l’on se pose sans cesse, de différente manière, dans tous les temps. Dans la Bible il n’y a pas une seule réponse à cette question. Mais des propositions de solutions : tantôt on dira qu’en fin de compte il y a une juste rétribution dans la vie (celui qui fait le mal se fait toujours prendre); tantôt on dira que la juste rétribution c’est pour le royaume de Dieu. Mais il existe encore bien d’autres réponses dans la Bible, d’autres réponses plus complexes sont données. Aucune des réponses, en soi, ne dit la fin du questionnement, mais la foi permet de se poser la question, de réfléchir en toute autonomie éclairée par le questionnement de l’autre.
La religion que l’on suit peut ainsi être un espace ou les bonnes questions se posent, où les réponses peuvent surgir et se vivre en liberté. Vivre cela, non dans un affrontement, mais dans une fraternité.
Je suis convaincu que les Églises [qui sont des lieux de matérialisation de religion], en tant qu’institutions, sont utiles pour aider chacun à forger ses convictions, mais elles n’ont pas à imposer des normes de croyance ou de comportement. Elles sont là pour que chacun, chaque individu, puisse se forger ses convictions et ainsi devenir encore plus humain. Si elles défaillent dans cette tâche et viennent à penser être l’autorité suprême, il faut simplement oser les remettre en question.
Suis-je un utopiste? Un idéaliste de penser cela? Face à ‘histoire et les institutions religieuses, tel qu’elles sont perçues généralement, penser sa religion comme un espace de liberté n’est pas contradictoire ou purement utopiste? Cela peut le sembler, encore que c’est méconnaître la plupart d’entre elle, et ce que peuvent vivre beaucoup de fidèles : une libération par rapport à des diktats imposés par une société par trop matérialiste.
Et puis de toute manière : vivre ses utopies n’est-ce pas marcher vers sa liberté?